Rencontre avec l’autrice et illustratrice Michèle Standjofski

Dans le cadre de sa résidence à La Rochelle à la Maison des Ecritures, les étudiant.es de la CPES-CAAP ont rencontré l’autrice, bédéiste, illustratrice et enseignante libanaise. Compte-rendu par Eva Delhoume et Colombe Jeannet

Michèle Standjofski – image librairie Mollat Bordeaux

Michèle Standjofski est une illustratrice libanaise que la classe de CPES-CAAP a eu la chance de rencontrer le lundi 11 septembre 2023.

Durant cet échange, elle a eu l’occasion de nous faire part de son parcours, de ses projets personnels, mais aussi des commandes qu’elle a reçues de la part de ses éditeurs, pour enfin nous donner de nombreux conseils concernant sa profession.

Elle a débuté cette rencontre en nous partageant le sujet de son prochain ouvrage : Mona Corona, un roman graphique qui sortira le 5 octobre prochain.

Mona Corona évoque les thèmes de la pandémie puisqu’elle commence l’écriture de son livre pendant le confinement, mais suggère aussi la tragique explosion de nitrates d’ammonium qui a eu lieu à Beyrouth le 4 août 2020, et la crise financière qui en a suivi. En faisant allusion à la plus grosse explosion non nucléaire au monde, Michèle assume dès le début de son histoire un penchant dramatique et émouvant.

Sorti le 5 octobre, Mona Corona, dernier ouvrage édité de Michèle Standjofski

C’est finalement un message universel auquel chacun peut s’identifier qui est porté à travers ce récit et l’anonymat du lieu. Sa ville de cœur, Beyrouth, est sous-entendue mais ne sera jamais citée. Pour Michèle, cette histoire, c’est un long poème sur une femme qui court dans une folie. Une folie qui sera représentée plus tard par une épidémie de danse inspirée de celle de Strasbourg au Moyen Age, ou encore, des manifestations d’octobre 2019 au Liban. C’est festif, colérique et réjouissant : cet amas d’émotions, aussi contradictoire soit-il, amène le lecteur dans une frénésie qu’il ne peut contrôler.

Un crayonné du dernier ouvrage de Michèle Standjofski

Elle nous a également fait part du processus qu’elle a mis en place pour illustrer sa BD. Globalement il s’agit d’un crayonnage fait main auquel elle apporte par la suite un encrage aux feutres noirs, sur lequel elle procède à des réglages sur Photoshop pour obtenir un noir profond qui viendra constater l’unique couleur présentée en aplat tout au long du livre. Un rose toxique et étonnement doux, qui fait référence à la couleur du ciel de Beyrouth après l’explosion.

Mais le parcours de Michèle ne s’arrête pas à la production d’un seul ouvrage. Avant de devenir une référence dans son milieu, elle est passée par différentes phases. L’illustratrice commence son cheminement au jeune âge de 17-18 ans en se faisant embaucher pour faire des story-boards pendant 10 ans. 

L’illustration ne suffisant pas toujours à dégager un salaire suffisant, elle a également travaillé dans la publicité. Cependant ceci reste malgré tout une expérience qui forgea notre autrice.

Coloriez-moi – Beyrouth

C’est donc une femme complète que l’on a pu rencontrer puisqu’elle revêt différentes facettes de sa discipline : illustratrice, artiste graphique, autrice, publicitaire et même professeure aux Beaux-Arts de Beyrouth dont elle est directrice depuis quelques temps. Cette dernière profession lui ouvre la voie d’une nouvelle route : le fanzine. En effet, la professeure a eu l’opportunité pendant le confinement de créer avec ses élèves un magazine de fan dans lequel ils ont pu développer tout un univers autour de la musique et de la bande dessinée. Le joyeux groupe a ainsi participé au festival culturel de Beyrouth.

Entre le Liban et la France, Michèle a des propositions de contrats dans les deux pays. Cela l’amène à illustrer de nombreux ouvrages, et notamment pour un jeune public, tels que Basile et Myrtille ou encore The little Cedar Tree.

Toujours très proche de sa culture et de par sa volonté de faire connaître sa ville aux enfants Beyrouthins, qui, à cause du contexte politique du pays n’ont pas pu en apprendre plus sur leur lieu de vie ; Michèle a accepté de dessiner Coloriez-moi Beyrouth un livre de coloriage comme le nom l’indique. A travers celui-ci elle dessine des événements historiques comme la guerre civile et des lieux qui lui sont chers. Cela lui rappelle son enfance, le système de panier que l’épicier usait pour faire passer des vivres à ses clients et les fois où elle “jouait” à la passeuse pour éviter à ses homologues les francs-tireurs durant les longues années de la guerre civile.

Dans ce livre interactif l’enfant apprend à développer sa créativité en remplissant les bulles vides de l’histoire. Ce système permet d’aborder le « politique » et de sensibiliser la population à aider une association dont le but est de rouvrir des espaces publics de la ville, comme les parcs, qui permettent le brassage naturel des différentes strates sociales.

Premier numéro de Wahwah

Sa réputation l’amène à collaborer en tant que première invitée du magazine WAHWAH créé par l’auteur Charles Berberian. Au cours de cette résidence, elle réalise une bande dessinée de 30 pages dans lesquelles elle parle de la révolution de Beyrouth, mais aussi de la Covid et de la situation du Liban en s’inspirant de la chute qu’elle a faite dans un de ses rêves. Selon elle, la BD est le mode d’expression qui retranscrit le mieux les rêves.

Un des derniers projets que notre autrice a mis en œuvre est la publication d’Antonio, un homme mythomane mais rêveur à qui l’on s’attache le temps de la lecture des 260 planches de sa bande dessinée. Pour avoir eu l’occasion de la lire après notre entrevue, nous élèves, pouvons vous affirmer que la qualité de dessin et de trame plus complexe qu’elle n’y paraît, mêlant émotion et histoire, vous fera voyager dans l’univers de notre artiste.

Antonio, éditions Des Ronds dans l’O

Michèle Standjofski a un processus de création bien à elle.

L’autrice Libanaise nous a appris qu’il était essentiel de diversifier ses techniques graphiques. Pour ce faire, il lui arrive de faire l’expérimentation de nombreux matériaux voire même de les associer les uns aux autres dans ses pages illustrées. Elle nous a confié lier parfois photographie, collage et dessin dans ses planches, permettant ainsi de créer des rendus uniques dans chacun de ses ouvrages. La tablette graphique, outil avec lequel elle est moins familiarisée, car plus habituée au support traditionnel, constitue tout de même une part importante de son travail. Ayant conscience de la place de la technologie à l’heure actuelle, elle tend d’ailleurs à perfectionner sa pratique digitale en investissant dans une meilleure tablette graphique, en s’essayant à créer de nouvelles textures…

L’auteur a également différents styles graphiques, elle adapte le design, le papier et le format que va avoir chacun de ses livres en fonction de son texte, son histoire, rendant chaque livre différent des précédents. Elle n’a donc pas un style fixe, des codes graphiques fixes, elle est polyvalente. Selon elle, l’important est d’écouter son dessin mais également ce que nous inspire le texte, la façon dont on le perçoit.

Souvent, elle cherche ses inspirations dans son quotidien, ses souvenirs, ses rêves et ajoute même des références à des artistes, des acteurs, des répliques films etc.

Michèle accorde également beaucoup d’importance à la documentation. Selon elle, il est primordial de se renseigner sur ce que l’on dessine car il est nécessaire de comprendre le sujet en question. Elle-même nous a avoué malgré tout, qu’il est difficile de le maîtriser entièrement. Il est possible de se tromper, faire des contresens, mais l’illustrateur doit toujours avoir ce désir de recherche permanent. 

Hide and Seek, Nadim Issa et Michèle Standjofski

Concernant la manière d’illustrer chaque image, elle nous confie que ces dernières ne doivent pas simplement représenter le texte mais être elles-mêmes narratives. Elles sont là pour compléter le texte, parfois en dire plus que lui, donner davantage de détails et faire vivre encore plus l’histoire préalablement écrite : le rôle de l’illustrateur est tout aussi important que celui de l’auteur, surtout dans la littérature de petite enfance. Par exemple, l’image peut nous donner le ton de l’histoire; si elle est poétique, drôle, sombre…Attention tout de même à ne pas réécrire la trame, le but est en premier lieu de rester fidèle à cette dernière. Parfois il est nécessaire de s’éloigner du texte pour le rendre plus intéressant ou malheureusement moins ennuyant. Prenons pour exemple un de ses livres illustrés, destinés à un public plus jeune, l’auteur aurait même créé des sortes de codes chromatiques pour faciliter la lecture et la compréhension de celui-ci. Effectivement, l’ensemble de ses illustrations ne reposait que sur des teintes de gris, n’utilisant qu’une seule couleur pour éveiller le regard mais également pour ne pas créer d’images trop complexes, s’adaptant ainsi aux enfants. Ce processus se retrouve d’ailleurs dans d’autres de ses ouvrages, car c’est également un moyen simple et rapide de produire une grande quantité d’illustrations lorsqu’elle a peu de temps donné.

une planche “bleue” d’Antonio

Entre échanges, anecdotes et réponses à nos questions, elle nous explique qu’elle a travaillé en collaboration avec l’écrivain d’un des livres pour lequel on lui a passé commande. C’était pour elle très agréable, car l’écrivain et l’illustrateur travaillent toujours ensemble, mais pas en si étroite relation. Dans ce cas-ci, ils parlaient tout au long du projet alors que souvent, seulement quelques échanges constituent la relation de travail.

L’éditeur quant à lui est là pour simplifier la conversation entre les deux interlocuteurs, trouver quel illustrateur saurait au mieux représenter tel ou tel projet, mais aussi pour assurer la bonne publication de celui-ci. C’est également la maison d’édition qui imprime en couleur le prototype.

Lorsque l’éditeur a assigné à un projet l’illustrateur, ce dernier doit tenir compte du temps dont il dispose avant de se lancer dans une commande afin d’utiliser des techniques qui seront faisables dans le temps imparti. Néanmoins, il ne faut pas culpabiliser si ce n’est pas possible de répondre à une commande : on peut choisir d’accepter ou non une commande, dans la limite du raisonnable pour vivre.

Planche de Toutes les mers, vendues par la galerie Huberty et Breyne

Démarcher chez des galeristes n’est pas une mince affaire et il est parfois difficile de se faire accepter dans ce monde. Il est nécessaire de s’imposer pour s’y faire une place, de démarcher, proposer des contrats soi-même, aller à la rencontre des vendeurs… en d’autres termes “être actif”. Cependant, d’après son expérience personnelle, Michèle a eu plus l’occasion de vendre ses productions chez un marchand d’art lorsque le galeriste se proposait de lui-même pour les racheter, ou par l’intermédiaire d’une tierce personne qui pense que notre travail peut intéresser telle ou telle autre personne. La clé est de se faire des contacts en s’intéressant nous même au travail des autres et en allant à des vernissages par exemple. L’auteur nous encourage tout de même à persister par nous-mêmes et ne pas rester passifs.

Michèle Standjofski, Toutes les mers, 2017, éditions des Ronds dans l’O

Elle souhaite également nous faire nous rendre compte qu’il existe des passerelles entre les disciplines, il y a moyen de surfer sur plusieurs modules ou de se spécialiser, c’est un monde plus ouvert qu’on ne le pense et il n’existe que des possibles. Elle nous rappelle que dans la vie, on n’est pas appelé et cantonné à avoir une carrière toute tracée.

C’est donc une rencontre enrichissante qui nous a été offerte, que ce soit pour les élèves qui se questionnaient par rapport à la possibilité de devenir illustrateur, ou tout simplement pour ceux qui s’intéressent à cette discipline. Michèle a su avec beaucoup de tact et de sympathie dédramatiser la vision que l’on pouvait avoir de l’inaccessibilité ou de l’enfermement du monde de l’illustration, qui, finalement n’a pas l’air si impossible d’atteinte.

Eva Delhoume et Colombe Jeannet, étudiantes en CPES-CAAP